Collisions et équité: les rues des secteurs défavorisés sont plus dangereuses pour les piétons
La pratique de la marche et du vélo offre de nombreux avantages pour les résidents d’un quartier. En plus des avantages économiques et environnementaux, on dénote des bienfaits pour la santé, dont la prévention des maladies cardiovasculaires, de l’obésité et des problèmes de santé mentale (Ahmed et al., 2018 ; McCormack et Shiell, 2011 ; Pucher et Dijkstra, 2003). Certains facteurs ont une influence directe sur la pratique de la marche et du vélo dans un quartier : une mixité de fonctions et d’activités urbaines, une forte connectivité, une haute densité de population et un aménagement général de qualité (McCormack et Shiell, 2011) contribuent à augmenter la part modale des usagers du transport actif. Si ces facteurs ne sont pas considérés dans l’aménagement d’un quartier, non seulement cela n’encourage pas les résidents à marcher et à faire du vélo, mais cela peut aussi augmenter le nombre de collisions impliquant des piétons et cyclistes.
Le nombre de collisions est un indicateur important de la sécurité d’un quartier pour les piétons
Selon le Road Safety Report on Canada de 2018, publié par l’International Transport Forum, le nombre collisions mortelles sur les routes au pays a augmenté de 2 % en 2016 par rapport à 2015, la hausse la plus importante étant celle des décès des piétons et des cyclistes, 21 % et 7 % respectivement. Inversement, de 2015 à 2016, le nombre de décès parmi les occupants de véhicules automobiles a diminué de 4 % (OECD, 2018). Autrement dit, les routes canadiennes présentent de moins en moins de dangers pour les automobilistes, mais sont de plus en plus dangereuses pour les piétons et les cyclistes.
Un nombre élevé de collisions peut aussi être un indicateur que les routes n’ont pas été conçues pour les piétons. Par exemple, un piéton est deux fois plus susceptible d’être happé par un véhicule motorisé s’il n’y a pas de trottoir que lorsqu’il y en a un (Knoblauch et al., 1984 ; CCMA, 2013). Des études démontrent aussi que la probabilité de collisions entre un piéton et un véhicule motorisé dans une rue ayant un trottoir pavé est 88 % moindre que dans une rue sans trottoir (McMahon et al., 2002). Plus encore, la simple perception de danger ou d’inconfort pour la marche ou le vélo dans une rue est un dissuasif important pour les cyclistes et piétons. (Davison et Lawson, 2006 ; Bennett et al., 2007). Par conséquent, si la manière dont nous aménageons nos quartiers entraîne une augmentation des collisions et une perception accrue des risques, il est grand temps de repenser notre façon de les concevoir.
La relation entre le nombre de collisions et la situation socioéconomique d’un quartier
Au cours des projets d’urbanisme participatif en faveur de la santé dans douze communautés en Alberta, en Ontario et au Québec dans le cadre du Réseau Quartiers verts (RQV), nous avons noté que certains quartiers défavorisés ont des infrastructures piétonnes inadéquates. Inspiré par ce travail dans les communautés canadiennes, l’équipe du RQV a cherché à savoir si le risque de collisions entre véhicules motorisés et piétons est plus élevé dans les quartiers défavorisés des grandes villes du pays. Des études récentes menées aux États-Unis démontrent qu’il existe une corrélation entre les collisions et certains facteurs socioéconomiques tels que le revenu, l’âge (jeunes et ainés) et l’ethnicité. Par exemple, une étude menée dans un comté du sud de la Californie révèle que, dans les secteurs les plus défavorisés, il y a quatre fois plus de collisions entre les véhicules motorisés et les piétons que dans les secteurs où il y avait le moins de pauvreté (Anderson et al., 2010). Une autre étude démontre que les enfants piétons de secteurs défavorisés sont victimes de collisions 8,8 fois plus souvent que les enfants piétons de secteurs où les revenus sont les plus élevés (Chakravarthy et al., 2012).
Des études similaires ont été réalisées au Canada. Par exemple, une étude menée à Montréal révèle que dans les quartiers plus défavorisés, les enfants à pied ou à bicyclette subissent de quatre à neuf fois plus de blessures que les enfants des quartiers riches (Pless et al., 1987). Une autre étude réalisée aussi à Montréal démontre également qu’en moyenne, il y a six fois plus de collisions entre piétons et véhicules aux intersections dans les secteurs défavorisés que dans les secteurs de recensement les plus riches (Morency et al., 2012). À Toronto, un rapport de la Direction de la santé publique constate que les collisions et les blessures des piétons et des cyclistes « semblent être distribuées de manière disproportionnée parmi les usagers de la route les plus vulnérables à Toronto : enfants, personnes âgées et résidents des quartiers défavorisés ». Le rapport constate également que l’indice de marchabilité des quartiers défavorisés est souvent parmi les plus faibles. De plus, selon ce même rapport, les intersections du centre-ville, secteur riche où le nombre de piétons est le plus élevé, ont aussi le taux de collisions le plus faible. En revanche, les intersections des banlieues de Toronto ont des volumes de piétons inférieurs et des taux de collision plus élevés. (Toronto Public Health, 2012)
Pleins feux sur Calgary
L’équipe du RQV a voulu explorer si la relation entre le revenu des habitants et les collisions impliquant des piétons existe dans d’autres villes canadiennes. Des données ont été recueillies sur les collisions entre des véhicules motorisés et des piétons et ainsi que sur le revenu moyen dans chaque aire de diffusion à partir du recensement pour la ville de Calgary et ont été cartographiées à l’aide de logiciels de SIG (système d’information géographique). Nous avons constaté que la plupart des collisions survenues à l’extérieur du centre-ville se sont produites dans la partie nord-est de la ville. Non seulement les quartiers de ce secteur comptent parmi les plus pauvres de Calgary, mais ils sont aussi ceux qui ont une proportion plus élevée de Néo-Canadiens (Agrawal et Kurtz, 2019).
Tel qu’illustré sur la carte, l’étude révèle que, bien que les collisions entre des véhicules motorisés et des piétons se produisent partout sur le territoire de Calgary, elles semblent être plus fréquentes dans les secteurs où les revenus des ménages sont plus faibles. Toutefois, la corrélation entre les collisions et le revenu est relativement faible, ce qui permet de croire que d’autres variables sont en jeu, comme le volume de la circulation, l’état des trottoirs ou les conditions météorologiques. À ce stade de la recherche, seul le nombre total de collisions a été examiné. Le nombre total de véhicules motorisés ou de piétons n’a pas été pris en compte et, par conséquent, il se peut que les collisions dans les secteurs plus denses et plus propices à la marche soient surreprésentées dans les données cartographiques. L’équipe du RQV de Calgary prévoit effectuer une analyse additionnelle des données afin d’étudier l’effet du nombre de piétons et de véhicules sur le taux de collisions.
Adopter une approche ciblée pour la mise en œuvre d’infrastructure piétonne
Des études démontrent qu’outre le revenu, d’autres facteurs populationnels ont une influence sur le taux de collisions. Ces facteurs incluent entre autres l’éducation, l’ethnicité, la densité de population, le nombre de ménages multifamiliaux, la proportion de personnes ayant une connaissance minimale de la langue locale ou la proportion de personnes âgées de moins de 18 ans (Anderson et al., 2010 ; Chakravarthy et al., 2010 ; Chakravarthy et al., 2012).
Cela conduit au fait que les collisions sont aussi une question d’équité. Pour que toutes les collectivités au Canada aient un accès équitable à des environnements bâtis sains, il est urgent de donner la priorité à la création d’infrastructures favorisant les déplacements actifs, en particulier dans les secteurs à faible revenu ou autrement marginalisés.
La marche est le moyen de transport le plus sain, le plus accessible et le plus sécuritaire. Il faut construire des collectivités où chacun a un accès égal et convivial à cette forme de mobilité, la plus fondamentale de toutes. Une infrastructure piétonne inadéquate dans les quartiers à faible revenu expose les résidents à un danger accru de collisions et aggrave ainsi les inégalités vécues par ces gens. L’application d’une vision d’équité à la planification des transports peut contribuer à sauver des vies.
Sources :
- Agrawal, S et Kurtz, N. (2019). Ethnic Spatial Segmentation in Immigrant Destinations – Edmonton and Calgary. Journal of International Immigration and Integration 20(1) 199 – 222. https://doi.org/10.1007/s12134-018-0604-y
- Ahmed, H. M., Blaha, M. J., Nasir, K., Rivera, J. J., et Blumenthal, R. S. (2018). Effects of Physical Activity on Cardiovascular Disease. American Journal of Cardiology, 109(2), 288–295. https://doi.org/10.1016/j.amjcard.2011.08.042
- Anderson, C. L., Vaca, F. E., et Chakravarthy, B. (2010). Socioeconomic disparities in pedestrian injuries. Injury Prevention, 16(Suppl 1), A259--A259. https://doi.org/10.1136/ip.2010.029215.922
- Bennet, G.G., McNeill, L. H., Wolin, K.Y., Duncan, D. T., Puleo, E., et Emmons, K. M. (2007). Safe to Walk? Neighbourhood Safety and Physical Activity Among Public Housing Residents. PLOS Medicine 4(10): e306. https://doi.org/10.1371/journal.pmed.0040306
- Conseil Canadien des administrateurs en transport motorisé (2013). Countermeasures to Improve Pedestrian Safety in Canada
- Chakravarthy, B., Anderson, C. L., Ludlow, J., Lotfipour, S., et Vaca, F. E. (2010). The Relationship of Pedestrian Injuries to Socioeconomic Characteristics in a Large Southern California County. Traffic Injury Prevention, 11(5), 508–513. https://doi.org/10.1080/15389588.2010.497546
- Chakravarthy, B., Anderson, C. L., Ludlow, J., Lotfipour, S., et Vaca, F. E. (2012). A Geographic Analysis of Collisions Involving Child Pedestrians in a Large Southern California County. Traffic Injury Prevention, 13(2), 193–198. https://doi.org/10.1080/15389588.2011.642034
- Davison, K. K., et Lawson, C. T. (2006). Do attributes in the physical environment influence children’s physical activity? A review of the literature. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 3(1), 19. https://doi.org/10.1186/1479-5868-3-19
- Knoblauch RL, Tustin BH, Smith SA, Pietrucha MT. (1986). Investigation of exposure based pedestrian accident areas: crosswalks, sidewalks, local streets and major arterials. Washington, DC: Federal Highway Administration; Publication No. FHWA/RD-88/038.
- McCormack, G. R., et Shiell, A. (2011). In search of causality: a systematic review of the relationship between the built environment and physical activity among adults. International Journal of Behavioral Nutrition and Physical Activity, 8(1), 125. https://doi.org/10.1186/1479-5868-8-125
- McMahon, P., Zegeer, C., Duncan, C., Knoblauch, R., Stewart, R., and Khattak, A. (2002). An Analysis of Factors Contributing to ‘Walking Along Roadway’ Crashes: Research Study and Guidelines for Sidewalks and Walkways, FHWA-RD-01-101
- Morency, P., Gauvin, L., Plante, C., Fournier, M., et Morency, C. (2012, June). Neighborhood Social Inequalities in Road Traffic Injuries: The Influence of Traffic Volume and Road Design. American Journal of Public Health. https://doi.org/10.2105/AJPH.2011.300528
- OECD (2018) Road Safety Annual Report 2018. https://www.itf-oecd.org/sites/default/files/canada-road-safety.pdf
- Pless, I. B., Verreault, R., Arsenault, L., Frappier, J. Y., et Stulginskas, J. (1987). The epidemiology of road accidents in childhood. American Journal of Public Health, 77(3), 358–360. https://doi.org/10.2105/AJPH.77.3.358
- Pucher, J., et Dijkstra, L. (2003). Promoting Safe Walking and Cycling to Improve Public Health: Lessons From The Netherlands and Germany. American Journal of Public Health, 93(9), 1509–1516. https://doi.org/10.2105/AJPH.93.9.1509
- Toronto Public Health (2012). Road to Health: Improving Walking and Cycling in Toronto. Toronto. https://www.toronto.ca/wp-content/uploads/2017/10/967b-TPH-road-to-health-report.pdf